Le laboratoire Orion LAB, qui a récemment affiché de grandes ambitions dans le pharmaceutique, particulièrement pour le traitement des cancers, fait partie de cet aréopage d’entreprises algériennes. Paradoxe ou signe des temps qui semble infléchir le sens que les pouvoirs publics donnent à leur politique rénovée dans ce secteur, le laboratoire Orion LAB voit actuellement ses élans de développement bloqués, ses projets subissant une bureaucratie bancaire dont les conséquences pourraient être incommensurables.
Algerie360 : MM. Seddik AMRY et Allel AMRY, vous êtes les fondateurs et co-gérants du Laboratoire Orion LAB basé à Oran. Expliquez-nous en quoi consiste votre projet ?
Seddik et Allel Amry : Nous sommes un laboratoire pharmaceutique créé en 2017, spécialisé dans la production de médicaments génériques cytotoxiques sous forme sèche (comprimés, gélules) et injectable stérile. Notre gamme de produits sera essentiellement orientée vers l’oncologie avec la production d’environ 70 médicaments tous dosages et formes confondus, répartis sur une quarantaine de principes actifs différents, prescrits dans le traitement d’une quinzaine de types de cancers. Nous parlons de traitements principalement administrés en milieu hospitalier.
Vous êtes dans le secteur pharmaceutique depuis 15 ans, pourquoi précisément maintenant l’Oncologie avec Orion LAB ?
Votre projet d’usine de production de médicaments anticancéreux a été entamé il y a déjà plus de deux années. Où en êtes-vous concrètement ?
A l’instant où vous nous en parlez, toutes les machines pour la ligne forme sèche sont sur site, la ligne injectable est, quant à elle, prévue pour la fin du semestre 2021 du fait des délais de fabrication des machines commandées. Nous procédons actuellement à la pose des cloisons des salles blanches qui abriteront les différentes machines. Suite à quoi, nous serons en mesure de procéder aux qualifications de ces dernières et de mettre la ligne en exploitation. Celle-ci était initialement prévue pour juillet 2019, mais nous faisons face à un certain nombre de difficultés avec lesquelles nous composons au quotidien depuis plus d’un an.
Des difficultés, dites-vous, qui seraient venues retarder, voire contrarier, l’entrée en exploitation et la production de médicaments ? Quelles sont-elles ?
Depuis le début du Hirak en février 2019, l’activité économique du pays s’est considérablement ralentie. La faute n’est certainement pas attribuable au mouvement populaire, mais le contexte politico-économique n’a pas facilité les choses. En effet, nous rencontrons depuis près d’un an d’énormes difficultés avec notre partenaire, une banque publique, dans la consommation de notre crédit d’investissement. Nous avons dû attendre huit mois avant qu’un comité de crédit ne soit réuni pour l’approbation de certaines opérations entrant dans les limites de notre ligne de crédit (approbation de changement de fournisseur ou de modification de factures pro-forma). De plus, cette approbation a été subordonnée à la présentation d’une garantie supplémentaire pour laquelle nous n’avons obtenu aucune explication alors que nous avions déjà fourni toutes les garanties demandées.
Vous êtes en train de dire qu’un projet d’investissement déjà engagé a dû subir un coup de frein de huit mois ? Peut-on survivre à cela ?
On y survit difficilement. Toutes les opérations concernées par notre demande sont restées en suspens durant tout ce temps, occasionnant de fait des retards de réalisation, mais également des frais financiers supplémentaires. Nos marchandises sont bloquées au port depuis plusieurs semaines pour cause d’absence d’émission des remises documentaires par la banque. Ajoutez à cela tous les frais que ces blocages ont engendrés pour nous. Alors que nous vivons une période de renouveau politique porté par l’Algérie nouvelle que le Président Abdelmadjid TEBBOUNE est en train structurer, une Algérie où la communication est de rigueur, nous voici complètement démunis face à une banque qui ne donne plus suite à nos courriers et à nos innombrables relances, allant même jusqu’à refuser d’accuser réception de nos correspondances.
Dans un contexte où les réserves de change se réduisent, imposant la primauté de la dynamisation des ressources locales sur les importations, il a fallu plus de 8 mois à la banque pour valider la modification d’une facture à la baisse après accord avec le fournisseur, alors que son approbation était déjà acquise pour un montant plus élevé.
Comment la banque explique-t-elle ce paradoxe ?
Nous n’avons eu aucune explication de la part de notre banque, si ce n’est que nos demandes étaient en cours de traitement. Nous avons donc dû, à notre corps défendant, faire plusieurs relances pour ne recevoir finalement qu’une réponse partielle ou se voir demander des informations complémentaires. Nous sommes à chaque fois suspendus à un arbitraire bureaucratique qui n’affiche pas ses tenants et aboutissants et qui semble nous diriger inéluctablement vers l’échec. Nous en sommes arrivés à nous poser la question dont nous nous serions volontiers passés, à savoir : à qui profite le blocage des opérateurs nationaux du Pharma ? Cela ne profite certainement pas à l’Algérie et encore moins à ceux qui assument aujourd’hui la tâche difficile de redresser les situations économique et financière du pays.
La construction et l’aménagement de votre usine se font donc sur fonds propres, sauf pour les équipements, trop onéreux pour pouvoir les supporter ?
Nous parlons d’un investissement de près de 4,5 milliards de dinars qu’il est difficile d’assumer sur fonds propres. De plus, d’un point de vue purement financier, le recours à l’endettement, dans le cadre d’investissements à moyen ou long terme, est recommandable afin de maintenir un certain équilibre de l’entreprise. Nous nous sommes logiquement orientés vers un crédit d’investissement en toute transparence. Nous ne pouvions anticiper que notre partenaire bancaire, censé être un accompagnateur dans cette aventure économique, serait la source de nos tourments.
Trop facile d’emprunter le raccourci du contexte politique pour tout expliquer. Certes, la situation était complexe, mais décider de paralyser totalement les investisseurs est à notre sens, un très mauvais choix, surtout dans une période où l’Algérie a plus que jamais besoin d’aller de l’avant. Ces blocages et le mutisme dont a fait preuve notre banque ont réellement mis notre projet en péril. D’ailleurs, nous ne sommes probablement pas les seuls acteurs économiques concernés. Pour en revenir à votre question, nous n’avons, malheureusement, pas constaté d’amélioration en termes de communication depuis le début de l’année.
Comment envisagez-vous la suite pour la concrétisation de votre projet ?
En plus de la construction et de l’aménagement de l’usine à nos seuls frais, nous avions prévu d’autofinancer également certains matériels. Ce qui s’est avéré impossible, par la suite, avec les frais financiers supplémentaires induits par les problématiques rencontrées. De plus, avec le développement rapide du secteur de la santé qui induit une technicité de haut niveau des usines, nous avons décidé d’orienter certains de nos achats vers du matériel de production de produits biotechnologiques (produits biologiques notamment- NDLR). Ce qui nous a amenés à introduire une demande de financement complémentaire auprès de notre banque afin d’acquérir les équipements manquants et être en mesure de mettre l’usine en exploitation cet été. Après plusieurs mois d’attente, la banque a encore une fois refusé notre demande.
Ce projet dans lequel nous nous sommes investis à 100% verra le jour quoi qu’il en coute. Nous n’avons pas déployé autant de ressources et d’énergie pour s’arrêter si près du but. Dès lors que notre projet a atteint un certain degré d’avancement, nous avons été sollicités par des laboratoires étrangers intéressés de prendre part à cet investissement. Nous avons tout fait jusqu’ici pour que notre laboratoire soit algéro-algérien mais si nous n’arrivons pas à être accompagnés localement, nous n’aurons d’autres choix que d’ouvrir notre capital à des partenaires étrangers afin de collecter les financements manquants.
Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux autorités concernées à travers cette interview ?
Lors de notre participation au Siphal, en février dernier, notre laboratoire a reçu un très bon accueil de la part des professionnels de la santé et des organismes de tutelle qui ont salué notre initiative. Depuis, le Président de la République et, après lui, le Ministre de la Santé et le Ministre Délégué à l’industrie pharmaceutique se sont exprimés sur la nécessité de promouvoir et soutenir ce type de projet. Force est de constater que les orientations stratégiques du chef de l’Etat et les directives des responsables sectoriels n’ont pas encore trouvé l’écho escompté auprès de certains établissements bancaires. Nous regrettons d’avoir à nous empêtrer dans de telles situations au lieu de concentrer toute notre énergie et notre temps pour concrétiser notre projet qui sera indubitablement une brique supplémentaire considérable dans l’édifice de l’industrie pharmaceutique dans notre pays.
Les banques sont peut-être ulcérées par des expériences antérieures douloureuses, qui les poussent à adopter la posture de la forteresse…
Des « forteresses» qui ont, il n’y a pas si longtemps, financé des projets qui n’ont jamais vu le jour et dont les montants des prêts n’ont pas été remboursés. Nous aimerions bien que nos banques soient des forteresses et non des passoires pour mauvais ou faux projets, car nous ne sommes pas dans ce cas de figure, nous avons toujours été transparents sur l’évolution du chantier. L’usine est sortie de terre et 90% des équipements sont sur site et visibles de tous. Tout arrêter aujourd’hui pour quelques centaines de millions serait un véritable gâchis. On ne peut faire l’économie de préciser, dans cet ordre d’idées, que la banque n’a pas fait plus de 3 visites sur site et nos rencontres ont été très limitées. Ce manque d’implication ne lui a pas permis de saisir la teneur du projet et de prendre toute la mesure de la technicité des procédés. Nous regrettons que la banque ait traité notre demande depuis un bureau, sur la seule base de ratios financiers théoriques sans chercher à voir plus loin ou à comprendre les spécificités de notre activité.
La crise économique touche toute l’économie algérienne, notamment en raison de la pandémie du coronavirus. Quelle est la situation pour vous ?
La pandémie n’a malheureusement rien arrangé à notre situation, mais cela est le cas pour tous les professionnels. Nous essayons malgré tout de maintenir la tête hors de l’eau, jusqu’à ce que la situation sanitaire s’améliore et que nous puissions retrouver un rythme de travail normal.
Entretien réalisé par Algérie360