dimanche 19 mai 2024
Accueil > Bien être > Manger bio réduit-il les risques de cancer? Difficile à prouver
American Cancer Society

Manger bio réduit-il les risques de cancer? Difficile à prouver

Une grande étude parue lundi montrant  que les plus gros mangeurs français de nourriture bio avaient moins de cancers  que ceux qui n’en mangeaient jamais illustre la difficulté d’établir une  relation de cause à effet entre alimentation et santé.

Il est impossible de prouver catégoriquement en laboratoire que tel aliment  réduit le risque d’une maladie aussi complexe que le cancer.

Les chercheurs doivent donc suivre un grand nombre de personnes et attendre  que des cancers se développent chez certains, en espérant isoler a posteriori  un comportement spécifique aux malades.

Des milliers d’études sur l’alimentation et diverses maladies ont été  conduites depuis des décennies. Même les plus grandes sont parfois contestées,  comme cette célèbre expérience qui avait montré en 2013 les effets bénéfiques  du régime méditerranéen contre les maladies du cœur, mais qui a été retirée  d’une prestigieuse revue médicale cette année, à cause de problèmes  méthodologiques.

Concernant le bio, une seule étude d’ampleur avait auparavant regardé  l’effet sur le cancer, la Million Women Study, avec 600.000 femmes britanniques (2014). Elle n’avait trouvé aucune différence entre les consommatrices de bio  et les non-consommatrices sur le risque général de cancer, mais avait vu un  risque réduit pour un cancer particulier: le lymphome non hodgkinien.

L’étude française (Sorbonne, Inra, Inserm…) est plus détaillée, bien  qu’elle ait moins de participants, environ 69.000, surtout des femmes. Ses  résultats sont publiés dans la revue américaine Jama.

L’hypothèse est que les consommateurs de bio ingèrent moins de pesticides  synthétiques par les fruits, légumes ou céréales, et réduisent ainsi leur  risque, certains pesticides étant soupçonnés d’être cancérigènes.

Après leur recrutement, les volontaires de l’étude NutriNet-Santé ont  rempli un questionnaire (revenus, activité physique, fumeur ou non, indice de  masse corporelle…) et déclaré les aliments bio consommés dans les 24 heures  précédentes.

L’étude a réparti les participants en quatre groupes, selon leur  consommation de bio. Puis le nombre de cancers dans chaque groupe a été compté,  sur quatre ans et demi en moyenne.

Dans le quart de personnes ayant déclaré manger le plus de bio, le risque  de cancer était 25% inférieur à celui dans le quart qui n’en mangeait jamais.

En absolu, l’augmentation est seulement de 0,6 point, soit six malades  supplémentaires pour 1.000 personnes.

 

 « Complexe » 

L’étude ne trouve de corrélation statistiquement significative que pour le  cancer du sein pour les femmes ménopausées, et les lymphomes, notamment le  lymphome non hodgkinien.

Les auteurs ont pris soin de corriger leurs résultats pour tenir compte du  fait que les mangeurs de bio étaient, en moyenne, plus riches, moins obèses,  moins fumeurs.

Mais d’autres facteurs invisibles, environnementaux ou liés au mode de vie,  jouent aussi peut-être un rôle.

C’est le problème typique de ces études.

« Les gens qui mangent bio délibérément, au point de le déclarer, sont  probablement différents des autres par bien d’autres aspects », dit

Nigel Brockton, directeur de la recherche de l’Institut américain de recherche  contre le cancer (AICR).

Il recommande, plutôt qu’un type d’aliment particulier, un ensemble de  pratiques pour réduire les risques de cancer: poids normal, activité physique,  régime sain, pas trop de viande rouge…

« Le régime alimentaire est une chose complexe », dit-il. « Nous ne ferions  jamais de préconisation fondée sur une seule étude, même si elle est  statistiquement significative ».

D’autres problèmes ont été relevés: les traces de pesticides chez les  participants n’ont pas été mesurées, ce qui a suscité les critiques d’experts  d’Harvard dans le même numéro de Jama. La coauteure Julia Baudry répond .  que cela a été fait seulement sur un petit sous-échantillon.

L’aspect déclaratif pose aussi problème à John Ioannidis, professeur  émérite de médecine à Stanford, connu pour avoir déclaré que la plupart des  études publiées étaient fausses.

« La plupart des gens, dont moi-même, seraient bien incapables de dire  précisément combien de nourriture bio ils mangent », dit-il  « L’étude a  3% de chance d’avoir trouvé quelque chose d’important, et 97% de propager des  résultats absurdes et ridicules », conclut-il.

Mais « la recherche avance une étude à la fois », souligne le docteur Brockton.

Comme pour la viande rouge ou la cigarette, il faudra de nombreuses études  allant dans le même sens pour pouvoir conclure sur la nourriture bio.

En attendant, l’American Cancer Society continue de préconiser de manger  des fruits et légumes, bio ou pas